Ici débute le troisième livre du Pentateuque. On a pour coutume d’appeler le Lévitique, la Thorat Cohanim, la Torah des prêtres. C’est un texte qui va donner les prescriptions que le peuple d’Israël doit respecter pour entrer dans une forme de sainteté. En effet, il est écrit « Vous serez saints, car Saint je suis, Moi, Hachem votre D.ieu ». Ce livre est le livre de la Sainteté, celui où D.ieu donne au peuple d’Israël un commandement de conduite. Selon Maïmonide, « cette exhortation à la sainteté récapitule l’ensemble des prescriptions de la Thora et ne désigne pas une conduite particulière. La sainteté est atteinte dans l’unité de toutes les valeurs » (Askénazi citant Maïmonide, Sefer Hamitsvot, Introduction, Hachorech Hachevi’i). Cette exhortation nous est rappelée à chaque fois que nous accomplissons une mitsva lorsque nous prononçons la bénédiction où nous répétons « Qui nous a sanctifiés par Ses commandements et nous a prescrit de … ». Ce projet de sainteté est un commandement de conduite certes mais également une promesse puisque D.ieu ne conditionne pas le « vous serez… ».
Cette paracha de Vayikra débute sur Dieu qui s’adresse à Moïse pour lui expliquer comment l’offrande entièrement consumée doit être faite par le peuple d’Israël. Il est décrit comment procéder aux sacrifices. La paracha Vayikra décrit cinq types différents de sacrifices offerts au sanctuaire : ‘olah ou « offrande entièrement consumée », minha ou « offrande de céréales », zévah shélamin ou « sacrifice de complétude », hatat ou « sacrifice expiatoire », asham ou « offrande de culpabilité ».
C’est le début de l’énumération de la liturgie des sacrifices, de l’expiation (kappara) consiste essentiellement dans la consommation, soit par le feu, soit en repas de réconciliation, de ce qui fait la base de l’alimentation de l’homme. En effet, toute faute que l’homme vient de son appétit immodéré, de ce que sa nature première est celle d’un appétit de jouissance, qui assure le fonctionnement de la vie corporelle et permet la présence de la conscience à soi-même. La Torah offre donc à l’homme un chemin de sainteté mais, tenant compte de sa nature même, de cet appétit, elle permet à l’homme de s’en absoudre si cette faute n’est pas vraiment voulue. C’est tout le sens de ces sacrifices expiatoires au travers de la participation du culte du temple mené par les Cohanim, lesquels vivent « une vie de sainteté (…), exempte des risques de faute de la vie économique ». Cette perfection se retrouvant dans les repas qu’ils dispensaient.
Ce troisième livre commence sur le mot Vayikra « Et D.ieu appela », ce qui implique que l’homme s’approche de D.ieu pour entendre son message. Ici, il est question de sacrifice, de qorban. Et on perd énormément à la traduction. En effet, en français, le terme sacrifice implique une notion de privation qui est absente en hébreu. Dans la langue du Livre, qorban signifie approche. Les sacrifices sont alors conçus pour nous rapprocher de D.ieu, ce qui est perceptible dans la phrase « Lorsqu’un homme parmi vous sera porté à offrir une offrande, ce sera à D.ieu ». La plus importante partie de cette paracha décrit par le menu comment les sacrifices devront être offerts dans le sanctuaire… La question du sacrifice des animaux pour racheter nos fautes est, de nos jours, une idée qui n’est pas sans poser de questions. Certains y verront un acte barbare, un acte de cruauté envers les animaux mais il faut remettre les choses en perspective : au temps de la Torah, les sacrifices et offrandes étaient le mode normal et nécessaire de démonstration de sa foi. Le culte impliquait le qorban pour s’approcher du divin au travers de ces offrandes, de ces sacrifices pour obtenir le pardon divin. On est alors dans une société où un animal est une vraie richesse, et le sacrifice rapproche et montre sa réelle volonté de racheter ses fautes. Lorsque le sacrifice brulait et que la fumée s’élevait dans le ciel, les anciens y voyaient une manifestation d’amour et de respect du sacrifiant à l’endroit de D.ieu et de sa Loi. En outre, le sacrifice est entouré d’un rituel de nature à créer une crainte révérencielle. Mais le sacrifice ne suffit pas en lui-même et doit s’accompagner d’une démarche honnête de techouva, il faut vouloir en toute franchise se racheter ? On ne saurait se dire que l’on peut faire des choses immorales et que cela n’est pas grave puisque l’on pourra sacrifier pour se racheter car « D.ieu n’aura pas de compassion à l’égard de celui-là » (Lévitique, Rabba 2 :12). Pour que le qorban puisse rapprocher le sacrifiant de D.ieu, il faut accomplir de bonnes actions, étudier la Torah, faire les offrandes sur l’autel… Tous ceux qui faisaient un mauvais usage des sacrifices étaient vivement critiqués. Dans les textes relatifs aux prophètes, on constate d’ailleurs une critique de l’hypocrisie des sacrifices qui ne sont pas accompagnés d’un réel acte de contrition et d’amélioration. Pour les prophètes, les sacrifices n’étaient pas considérés comme un moyen d’effacer la culpabilité lorsqu’on avait commis des actes répréhensibles.
Mais quid de notre rachat depuis la destruction du Temple ?
Les rabbins ont affirmé que ces sacrifices ne pouvaient être opérés que sur le mont du Temple à Jérusalem et qu’ils ne pouvaient l’être ailleurs que dans le Temple. Ils ont donc suspendu le respect de ces prescriptions à la reconstruction du Temple. Avec le temps, et d’autant plus de nos jours, il semble difficile de penser que ces sacrifices soient un jour à nouveau d’actualité quand bien même le Temple serait reconstruit. D’ailleurs, H. J. Fields met en exergue que « même avant la fin des sacrifices, la prière remplaçait déjà le sacrifice, devenant l’expression spirituelle juive la plus reconnue » (H.J. Fields, La torah commentée pour notre temps, tome 2). Dès le IIIe siècle avant notre ère, la prière a pris la place des sacrifices dans le rite synagogal. Ainsi, la prière jouait déjà le rôle de substitut à un pèlerinage à Jérusalem avant même la destruction du Temple donc. Lorsque celle-ci est intervenue, les synagogues ont alors pris le relais et de nombreuses prières ont été ajoutées dans le rituel et notamment pour la restauration des sacrifices. C’est d’ailleurs le sens de l’office de Moussaf (office additionnel) qui a été inséré les jours de chabbat et de fêtes afin de prier pour la reconstruction du Temple et la réintroduction des sacrifices d’animaux.
Maïmonide s’est intéressé à la question dans le Guide des égarés et il a soutenu que les sacrifices étaient une ancienne forme de culte concédée aux Israélites afin qu’ils puissent apprendre à servir D.ieu sans se sentir différents des autres peuples environnants. Il souligne alors que la prière est bien supérieure car elle peut être offerte par tous et partout. La prière est alors un sacrifice en elle-même. Lorsque l’on fait une prière authentique, on se met à nu, on oublie toutes nos vanités, on abandonne nos travers. La prière est un temps hors du monde, hors de nos vies où on abandonne l’accessoire et om on offre en sacrifice notre égoïsme et notre cupidité afin de retrouver le chemin de l’amour des autres, de la compassion et de la vérité. Aussi, si ces prescriptions ne semblent pas pouvoir se réaliser à nouveau et que le sacrifice des animaux ne sera probablement jamais rétabli, le message que Vayikra porte est toujours d’actualité. Si l’on prie le cœur léger, avec un regard impartial sur nos actes et ce que nous sommes, avec une réelle volonté de nous améliorer, le sacrifice existe dans la prière. Nous sacrifions alors ce désir de toujours plus, de la réussite à tout prix… reconnaitre la vacuité d’un appétit immodéré pour les plaisirs égoïstes et les sacrifier pour se rapprocher de D.ieu voilà une nouvelle lecture à faire des sacrifices. Car au fond, les sacrifices « pour D.ieu » avaient pour but de s’écarter de la tentation des idoles, des veaux d’or… Aujourd’hui, le monde n’a plus d’idoles comme dans le monde antique : nos idoles sont autres, plus individuelles et égoïstes : l’argent, la liberté au détriment des autres, la gloire et la réussite facile… C’est peut-être cela qu’il faut sacrifier dans la prière… Ces choses-là ne sont pas mauvaises en elles-mêmes mais il faut alors se demander ce que l’on est prêt à faire pour les obtenir et choisir un chemin qui permette de s’accomplir tout en respectant les valeurs de la Torah... Le chemin le plus facile est souvent celui où l'on peut se perdre soi et le sacrifice permet alors d'offrir une autre chance!
Le message est merveilleux si l'on lit entre les lignes. En effet, l'idée du sacrifice c'est celle que D.ieu sait notre imperfection et notre faïbilité. Oui nous portons en notre chair l'alliance, nous gardons le chabbat et il nous garde mais parfois nous nous égarons. Il n'est pas rare que l'on se rebelle, qu'on se dise à quoi bon lorsque la vie nous afflige mais si la foi va et vient comme les marées, il y a toujours la possibilité d'un retour! Le sacrifice est ce moyen de s'élever vers D.ieu, c'est notre chemin du retour…