Rosh haShana 5785
Hier matin, mardi premier octobre, je marchais près de la mer en me demandant comment j’allais écrire la drasha de Rosh haShana cette année.
Il faut dire que, la nuit précédente, j’avais fait plusieurs tentatives de brouillon avant de les effacer, puis de les réécrire, pour finalement capituler et faire une pause… mais je me suis endormi pendant la pause… qui s’éternisait, faute d’inspiration pour écrire un texte qui ne soit pas excessivement plombant.
Si je parle de cette promenade matinale au bord de la mer, c’est surtout pour évoquer le paysage de ce mardi premier octobre : la mer grise se fondait dans un brouillard tout aussi gris. L’horizon restait masqué par une vaste étendue grise, floue, où l’eau de la mer se confondait avec l’eau du brouillard.
Ce paysage reflétait parfaitement la manière dont je ressens, cette année, Rosh haShana. J’ai l’impression que nous sommes sur le seuil d’une vaste étendue de brouillard, en ce qui concerne l’avenir d’Israël, et la manière dont nous allons vivre, en tant que Juifs – et en tant qu’humains, dans un contexte politique et international quelque peu troublé… – cette année qui débute.
Dans le judaïsme, la journée commence au début de la nuit ; et la nouvelle année commence à l’automne, lorsque les jours déclinent. Cela peut sembler paradoxal. Pourquoi ne pas commencer la journée avec le lever du soleil, et la nouvelle année au printemps ?
Peut-être faut-il d’abord se confronter aux ténèbres pour ensuite « Réinventer les aurores », pour reprendre le titre d’un ouvrage du grand rabbin de France Haïm Korsia. Et c’est vraiment tout ce que nous pouvons nous souhaiter, en cette nouvelle année 5785 : qu’après la période sombre dans laquelle nous sommes plongés depuis le 7 octobre 2023, nous soyons capables de trouver un moyen de tourner le dos, collectivement en tant qu’êtres humains, à la haine de l’autre, à l’idolâtrie du pouvoir et à la soif de destruction qui font encore tant de ravages partout dans le monde.
Et ceci tout particulièrement après une année 5784 qui s’est avérée éprouvante. Elle a marqué un tournant dans nos vies, et a aussi constitué une année charnière dans l’histoire d’Israël. Il y a un an, jour pour jour, nous vivions encore dans le monde « d’avant » : avant le 7 octobre. A Rosh haShana l’an dernier, nous étions loin d’imaginer le bouleversement qui allait nous frapper collectivement. L’année a été terriblement éprouvante pour les otages – dont un certain nombre sont toujours aux mains du Hamas – et pour leurs proches. Elle l’a été aussi pour l’ensemble des Israéliens, qui ont perdu des proches le 7 octobre et lors de la guerre qui a suivi, qui vivent dans l’incertitude quant à la situation sécuritaire, qui ont été déplacés à cause des frappes du Hezbollah dans le Nord et attendent depuis des mois de pouvoir regagner leurs foyers. La jeunesse est sur le front, des réservistes ont été mobilisés ; tous risquent leur vie pour assurer la sécurité du pays. Pas plus tard qu’hier soir, le 1er octobre, les sirènes retentissaient dans tout le pays à cause de missiles iraniens – qui, heureusement, ont été interceptés… Ce qui annonce également une escalade dans ce conflit qui ne semble pas près de cesser, et pour lequel une issue positive semble de plus en plus lointaine.
Cette année a aussi été éprouvante pour les civils palestiniens qui se sont retrouvés sous les bombes à cause de la barbarie du Hamas, pour les libanais qui se retrouvent pris dans le conflit entre l’armée israélienne et le Hezbollah. Car il convient de garder à l’esprit que, parmi les victimes palestiniennes et libanaises de la guerre, il y avait aussi des gens qui souhaitaient seulement continuer à vivre en paix ; et beaucoup d’enfants sacrifiés sur l’autel des idoles que se fabriquent les adultes.
A Rosh haShana, nous lisons le passage de la ligature d’Isaac. Certains commentaires insistent sur la fidélité indéfectible d’Abraham en l’Eternel : car Abraham n’a pas protesté lorsqu’il a cru comprendre que l’Eternel lui ordonnait de sacrifier son fils unique. A mon avis, le mérite d’Abraham n’est pas d’avoir écouté l’Eternel sans sourciller : c’est d’avoir, au moment de tuer son fils, renoncé à ce qu’il avait cru être un commandement divin, mais s’avérait être une forme d’idolâtrie meurtrière, et épargné son enfant. La frontière est parfois mince entre l’exaltation religieuse et le fanatisme : Abraham a su, à temps, éviter de tomber dans le second.
Selon le texte biblique, c’est un envoyé de l’Eternel qui a arrêté Abraham, en lui disant de ne pas porter la main contre son enfant. Abraham a su l’écouter : il n’était pas tombé dans un fanatisme qui le rendait sourd à la voix de la raison.
Dans cette représentation de l’artiste Giuseppe Vermiglio (1585 – 1635), l’ange qui arrête la main d’Abraham présente une ressemblance troublante avec Isaac lui-même.
Comme si, en réalité, Abraham prenait soudain conscience qu’il ne pouvait pas sacrifier son fils. Comme si, au moment de l’égorger, le regard de son enfant lui faisait soudain prendre conscience de l’erreur irréparable qu’il allait commettre.
Sans doute comprenait-il soudain que la Source de toute vie ne pouvait exiger cela de lui. Il est donc possible que le « messager divin » qui s’est adressé à Abraham n’ait pas été extérieur à Abraham lui-même. Ce « messager » pouvait être une manifestation de sa propre conscience qui a soudain réalisé que l’obéissance aveugle à ce qu’il croyait être la volonté divine constituait une forme d’idolâtrie, aux conséquences potentiellement désastreuses.
Malheureusement, de nos jours, trop d’humains sont devenus sourds à la voix de ce « messager », de cette conscience de la primauté de la vie – et trop de personnes en meurent.
L’espoir que tous les habitants du Proche-Orient puissent vivre dans la paix, la sécurité, la bonne entente et le respect mutuel semble aujourd’hui désespérément lointain… quelque part entre la mauvaise plaisanterie et le rêve éveillé.
Au commencement de cette année 5785, le bilan de l’année passée s’avère donc bien sombre.
Nous aussi, en diaspora, n’avons pas vécu une année simple : que ce soit du fait de notre lien à Israël et de l’inquiétude dans laquelle nous nous trouvons, des amis et de la famille que nous avons là-bas, ou du fait de la recrudescence des actes antisémites depuis le 7 octobre, ou du profond sentiment de solitude que nous pouvons éprouver face à certaines réactions – ou absences de réactions… – et face à certains discours…
Nous disons, lors du seder de Rosh haShana (en mangeant dattes, poireaux et blettes notamment), des bénédictions afin de souhaiter que nos ennemis soient anéantis et cessent de nous nuire ; il y avait longtemps que ces bénédictions n’avaient pas semblé aussi en phase avec l’actualité.
A Rosh haShana, nous mangeons de la pomme trempée dans du miel et des mets sucrés pour se souhaiter une année douce comme le miel ; cette année, ce souhait semble quelque peu déconnecté de notre réalité collective – même s’il peut rester pertinent à l’échelle individuelle. Tout au moins pouvons-nous nous souhaiter les uns les autres un adoucissement dans l’avenir, et surtout de la force et du courage en attendant. Et cette force et ce courage, nous pouvons bien sûr les puiser dans les sources de joie du quotidien – dont la pomme au miel et les mets sucrés de Rosh haShana font partie.
Alors, en cette nouvelle année 5785, je souhaiterai à tout le monde beaucoup de force pour traverser la période troublée que nous vivons, et de puiser cette force dans toute la beauté qui nous entoure et dans les joies simples du quotidien. Puissiez-vous rester tels des rocs face à la tempête, confiants dans le fait qu’après la nuit, le soleil se lève toujours ; après l’hiver, le printemps refleurit tous les ans – et la Source de vie finit toujours par faire voler en éclats les idoles que se fabriquent les humains.
Le terme Parasha, désigne la "portion" en hébreu. C'est la section de la Torah que l'on doit lire à chabbat et qui est commune à toutes les communautés juives au travers du monde. C'est aussi connu sous le nom de "Portion hebdomadaire" (Parshat HaShavuah. Le nom pluriel est parachiot. Chaque paracha prend normalement son nom dans un mot unique ou d'un groupe de mots du texte hébreu à lire comme, par exemple, la première paracha de la Torah qui prend le nom du 1e mot: "Berechit".